Emilie Allender, est Directrice du pôle patrimoine au 9-9 bis à Oignies, dans le Pas-de-Calais. Elle participe au programme dédié à l’inclusion en médiation scientifique "Sciences pour toutes et tous en Hauts-de-France" coordonné par l’association Ombelliscience.
Ombelliscience l’a interviewée le 14 mai au sujet de sa démarche et son cheminement pour aller vers davantage d’inclusion dans ses pratiques professionnelles.
Aurélie Fouré (AF) pour Ombelliscience : Pouvez-vous présenter votre structure en quelques mots et expliquer en quoi elle a un lien avec la culture scientifique ?
Emilie Allender (EA) : Le 9-9 bis est un établissement public de coopération culturelle (EPCC) financé Dont les financeurs principaux sont la communauté d’agglomération Hénin-Carvin et le département du Pas-de-Calais.
C’est un lieu culturel et patrimonial situé à Oignies (62). C’est le dernier site minier à avoir fermé dans la région en 1990. C’est assez symbolique. C’est un site du bassin minier représentatif des années 30 et très complet. Les machines sont bien conservées et l’une d’entre elles tourne à nouveau ce qui permet de mieux comprendre comment un site minier pouvait fonctionner.
Nous allons faire en sorte que le bâtiment des machines puisse être accessible pour les personnes à mobilité réduite, avec la mise en place d’un ascenseur et d’un parcours sécurisé. Aujourd’hui on ne peut le faire visiter qu’à des groupes limités de 30 personnes.
Le 9-9 bis n’est ni un musée, ni uniquement un lieu patrimonial. Le projet est très large, orienté spectacle vivant, musique... Mais sur la dimension patrimoniale (machines, fonctionnement d’un site minier), il y a une dimension scientifique et technique importante. Quand on parle de culture scientifique on a tendance à penser aux sciences physiques, maths… alors que, au 9-9 bis, Nous avons, grâce à la présence des machines un patrimoine scientifique et technique que nous transmettons que nous transmettons aux visiteurs. Quand on fait une visite, on essaie de vulgariser au maximum pour que les visiteurs comprennent comment fonctionnent ces machines.
AF : C’est quoi pour vous l’inclusion en général ?
EA : Dans le cadre du parcours "Sciences pour toutes et tous", on a vu plein de définitions et de perceptions différentes.
Pour moi, l’inclusion c’est de faire en sorte que chacun.e puisse se sentir à l’aise, être ce qu’il/elle est dans un lieu culturel, sans qu’elle se dise "Je ne me sens pas à ma place". Dans l’idéal, ce principe devait être appliqué partout au quotidien, au-delà des lieux culturels, en entreprise, dans les lieux publics... On voit qu’il y a encore des progrès à faire.
Pour le 9-9 bis, c’est de faire en sorte qu’il tende à devenir un lieu dans lequel les gens s’arrêtent, s’y sentent bien et viennent pour pleins d’envies différentes sans venir forcément pour une visite ou un spectacle, comme une sorte de tiers-lieu.
AF : Selon vous, les sciences sont-elles naturellement inclusives ? Pourquoi ?
EA : Au premier abord j’ai envie de dire non, car déjà nous-mêmes en équipe dès qu’on parle de "puissance", "intensité", "tension", on commence à se dire "Ce n’est pas pour moi" !
Mais en y réfléchissant, en prenant les sciences au sens large (histoire, philosophie, arts..) je trouve que tous les domaines peuvent être accessibles a priori. Progressivement, c’est par expérimentation qu’on a avancé et inventé pour améliorer le quotidien, ce qui concerne chacun d’entre nous. Si on prend le cas de l’histoire de l’art, si on regarde un tableau, même si on ne connait pas l’artiste, que l’on n’a pas de notion, on peut quand même être touché par son œuvre et ressentir ce que l’artiste a voulu dire.
À priori, tout peut être accessible, c’est la façon de présenter les choses qui peut en faire quelque chose d’inclusif ou pas. Si on l’explique simplement, c’est inclusif. On s’est inventé un vocabulaire pour analyser, c’est ça qui rend moins inclusif, mais les savoirs en eux-mêmes ne sont pas excluants. Le "tambour bicylindroconique" du bâtiment des machines finalement c’est juste une grande machine qui permet de dérouler un câble pour permettre la descente et la remontée des hommes et du charbon. On a dû inventer des mots techniques pour expliquer ce qu’on voit mais on peut l’expliquer simplement. L’enjeu est de sortir du langage savant sophistiqué pour décomplexer.
AF : Au sein de votre structure, quel a été ou quel serait le 1er pas concret pour être dans une démarche plus inclusive ?
EA : Au quotidien, on essaie tout·es d’être le plus inclusifs et accessibles possible, en utilisant du vocabulaire un peu technique pour transmettre des notions aux visiteurs mais en faisant l’effort de vulgariser et d’être le plus pragmatique possible.
Nous sommes toujours dans cette démarche d’inclure des publics sur chacune de nos propositions, mais involontairement en médiation il y a des sujets complexes et ce n’est pas toujours évident d’évaluer si le public a bien compris. On sait qu’on a encore du chemin à faire.
En ce moment, on travaille avec une radio associative pour développer un projet participatif avec les habitants sur la construction et l’animation d’une émission radio. On a été chercher des habitants et on a essayé de faire en sorte qu’ils se sentent à l’aise. On peut participer à ce projet avec qui on est et ce qu’on a envie d’y faire : construire le sujet, être sur la partie technique… Tout le monde peut trouver sa place. Ça nous interroge sur la façon dont on va chercher les habitants proches du site. On a du mal à impliquer les personnes et on se dit "Qui on est, nous, pour aller chercher les habitants ?". On fait avec eux, le format est participatif, mais on arrive avec un projet déjà fait, qui peut ne pas les intéresser. Du coup, ça peut être difficile de se sentir complètement inclus.
6 habitants sont associés à ce projet radio. C’est une relation très individuelle aux personnes. Le groupe fonctionne mais ça nous a pris du temps pour constituer ce petit groupe. Et parfois on pense qu’ils nous ont dit « oui » parce que c’est nous, parce qu’on se connaît mais en même temps est-ce qu’elles se retrouvent dans la proposition ?
Une limite c’est le manque de temps pour collecter ce que les gens ont envie de faire. Il faudrait changer notre façon de faire. Aujourd’hui, on part d’un projet et on demande aux gens de s’impliquer. On devrait faire l’inverse. Même pour avoir juste une réunion de démarrage pour se rencontrer, c’est difficile. Nous aurions besoin d’interlocuteurs qui nous permettent de rentrer en contact plus facilement avec les habitants et quelqu’un en interne qui passe du temps pour mieux connaitre les gens. On a un projet de direction qui tent vers ça mais ce sont les ressources humaines qui manquent. Il faut réinventer, créer une chaine de médiation pour arriver à embarquer les gens et arriver à construire cela au fur et à mesure, sur un temps long. Créer du lien sans être tout de suite en mode projet.
AF : Que vous a apporté l’accompagnement par Ombelliscience et le collectif de professionnel·les qui se forment à vos côtés dans le programme "Science pour toutes et tous" ?
EA : C'est important déjà d’avoir des apports théoriques au début parce que ça permet de déconstruire la vision qu'on a d'un projet inclusif, d'avoir une ouverture d'esprit et de se rassurer.
Il faut accepter que ce qu'on a mis en place pendant un certain nombre d'années n'est pas optimal, ça demande une remise en question. Finalement le fait de se poser des questions, de douter de soi-même, c'est positif car on ne fonce pas tête baissée dans un schéma, on essaie de changer de regard et d’approche pour que ce soit un projet qui soit le plus inclusif possible.
Les récits d'expérience à la fois dans les regroupements régionaux ou lors des visio étaient très riches, parce qu’on pouvait échanger sur nos difficultés et voir des approches différentes.
La journée qu'on a eue au 9-9 bis avec Signe de sens par exemple, c’était particulièrement intéressant car il s’agit d’une structure spécialisée en inclusion et qui a partagé des choses concrètes qu'on pouvait mettre en place.
La visio aussi avec l'association À Petits Pas nous a permis de se rendre compte qu’il y avait déjà tout un travail à faire en terme d’inclusion dans l'organisation au sein même d’une structure pour le personnel. Ça rappelle que l’inclusion se travaille en équipe et que c’est bien que tout le monde ait une attention et une vigilance là-dessus en interne.
On n'a pas forcément eu des outils tout faits mais c'est important d’être dans un cheminement pour changer d'approche, prendre du temps et travailler différemment.
AF : Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment… À votre niveau, au sein de votre structure, et au niveau de l’accompagnement proposé par Ombelliscience ?
EA : Avant de faire, il faut vraiment poser les bases en amont pour que tout soit bien pensé et se dire qu'on va pouvoir faire évoluer le projet. C’est important de poser les objectifs au départ et d’essayer d’avoir une dimension inclusive à tous les niveaux, d’avoir une chaîne complète d'inclusion. C’est important d’accepter que le fait d’être davantage dans une démarche d’inclusion se fait au fur et à mesure, dans le temps.
Si c'était à refaire, je ne mettrais pas l’ambition de développer l’inclusion seulement sur un projet en particulier. Dans l’équipe, on se dit que c’est bien déjà au début d’être vigilant·es dans le quotidien, à chaque fois qu'on échange avec le public, d’essayer d'être beaucoup plus attentif, de faire attention à chaque personne individuellement, de ne pas laisser de malaise sur quelque chose qui ne fonctionnerait pas ou ne serait pas comprise dans le cadre d'une visite ou d'un atelier par exemple.
Aujourd’hui, quand je fais une visite pour du public individuel, je sens que ma façon de démarrer la visite est différente, je vais essayer de mettre davantage à l'aise le public et d'être vigilante à sentir si des choses sont comprises ou pas.
Autre chose aussi, qui n’est pas toujours facile à faire, c’est d’essayer de garder les objectifs de départ dans les projets sans les transformer pour qu’ils rentrent dans les appels à projets/financements. Parfois, on est embarqué dans des projets dans lesquels on fonce tête baissée parce qu'il y a des critères pour avoir des financements, mais ça n'a pas toujours de sens par rapport à la direction qu’on s’était donné au départ.
L’idéal est de ne pas trop se contraindre par le cadre mais de trouver une adéquation entre la proposition culturelle, le calendrier, le public et les partenaires. Des fois, on se dit que c'est important d'aller vers les publics des quartiers politiques de la ville - ce qui est positif à priori - mais ça enferme un peu parce que finalement on fait pour ce public-là alors qu'on pourrait faire en sorte que ce soit beaucoup plus ouvert à toutes et tous. Finalement ce qui compte c'est d'avoir embarqué des gens, qu'on construise ensemble et que cela ait du sens pour toutes et tous.
Photos (haut) © Silina Syan, milieu et bas © Ombelliscience
Publié le 16 mai 2025