Catherine Suchanecki est responsable de l’Ecole-Musée, un des trois musées de la ville de Boulogne-sur-Mer (62). Dans le cadre de sa participation à la formation-action "Sciences pour Toutes et Tous" (SPTT) coordonnée par Ombelliscience, Catherine Suchanecki a été interviewée par Ombelliscience le 17 octobre au sujet de son cheminement vers plus d’inclusion dans ses pratiques professionnelles.
Marie Lemay pour Ombelliscience : Pouvez-vous présenter votre structure en quelques mots et expliquer en quoi elle a un lien avec la culture scientifique ?
Catherine Suchanecki : L’Ecole-Musée c’est le seul musée du Pas-de-Calais qui porte sur l’histoire de toutes les éducations. On y a reconstitué 3 époques : de 1863 jusqu’à l’arrivée de l’informatique dans les écoles. Cela permet de découvrir l’évolution de l’éducation.
Côté sciences, ce qu’on met surtout en avant c’est le travail mené avec le laboratoire d’histoire et de didactique des langues de l’ULCO. Cette école a été un lieu d’innovations pédagogiques. Grâce aux recherches, on s’est rendu compte, qu’à Boulogne, on a innové dans la manière d’enseigner le français aux anglais. Le « texte à trous » a aussi été inventé ici. Ensuite, ça a été diffusé ailleurs. Historiquement, la ville est aussi connue pour avoir accueilli les premières écoles pratiques de commerce et d’industrie, sorte de pré-enseignement professionnel. C’est ce qu’on a mis en valeur lors de la Fête de la Science à travers une exposition. On y montre qu’il y a plusieurs formes d’intelligence dont l’intelligence de la main, l’intelligence technique. C’est une manière d’ouvrir les horizons en termes d’orientation scolaires et de rappeler que l’école peut révéler toutes les intelligences.
ML : C’est quoi pour vous l’inclusion en général ?
CS : Au début de cette formation Sciences pour toutes et tous, j’avais compris que l’inclusion c’était « ouvrir les portes à tous » et je me disais « ben moi, c’est bon, je n’empêche personne d’entrer au musée ». Alors oui, inclure c’est faire de nos lieux culturels des lieux d’accueil simples et ouverts à tous, sans faire de distinction. Mais, aujourd’hui, j’ai compris que ce n’est pas que ça. C’est aussi apprendre qu’il ne faut pas juger les gens. Avant, quand j’étais guide-conférencière, je me démenais pour aller dans les quartiers. C’était beaucoup de travail et j’étais souvent déçue parce que ça ne prenait pas. Je pensais : « je fais des choses mais les gens ne veulent pas participer ». La formation SPTT m’a déculpabilisée de ne pas y être arrivée à l’époque. Et aujourd’hui c’est une grande satisfaction de voir que, via le poste de médiateur social qu’occupe mon collègue Romain Leblanc, on arrive à discuter avec les habitant·es des quartiers populaires de la ville.
« Plutôt que d’imposer on les a écoutés et on a adapté nos activités. C’est ce que fait Romain aujourd’hui et c’est à 1000 lieux de ce que je faisais avant ! Je n’avais vraiment pas compris ce qu’attendaient les gens…»
ML : Selon vous, les sciences sont-elles naturellement inclusives ? Pourquoi ?
CS : Ça, ça renvoie au monde éducatif : moi quand j’étais au collège on avait l’éducation manuelle et technique. On y faisait de la couture, des expériences en physique, en biologie… Aujourd’hui, je trouve qu’on a éloigné la science de la pratique. Les sciences arrivent tard dans l’éducation des enfants et on ne les laisse plus faire d’expériences. De ce fait, les sciences paraissent inaccessibles et sont bien souvent rattachées aux maths, à la physique mais pas à l’étude et à l’observation des choses qui nous entourent. Alors que j’ai constaté que les gens aiment découvrir les sciences par tous les sens et par la manipulation. Pour être le plus inclusif possible, il faut s’inspirer des modèles belges et canadiens et utiliser des méthodes manuelles de construction. Ça permettra aux enfants d’être plus attirées par les sciences car ils seront dans la pratique.
ML : Au sein de votre structure, quel a été ou quel serait le 1er pas concret pour être dans une démarche plus inclusive ?
CS : On a d’abord agi sur l’iconographie : on a essayé d’atteindre une parité filles-garçons dans les supports visuels présentés dans le musée. L’autre fait marquant c’est d’avoir fait une visite en langue des signes française (LSF) et d’avoir échangé avec un jeune homme sourd de naissance pour lui demander comment on pouvait être plus inclusif ici. On a pu comprendre pourquoi des personnes comme lui ne viennent pas. Ce sont des choses toutes bêtes : s’il y a le feu dans le bâtiment, les sourd·es et malentandant·es n’entendront pas la sonnerie incendie. Quand on naît sourd, on ne peut pas lire un texte complexe en français car ce n’est pas sa langue maternelle : le FALC leur sera plus accessible… mais ils se sentent parfois infantilisés par les illustrations qui accompagnent ce type de textes. Enfin, il y a eu la création du poste de médiateur social qui est occupé par Romain et qui permet aux 3 musées de la ville de travailler davantage la coopération avec les animateurs et animatrices des centre sociaux permanents de la ville qui sont situés en quartiers populaires. Ce poste est devenu indispensable.
« Avant, on essayait de vulgariser mais on n’échangeait pas assez avec les gens. Maintenant je sais qu’il faut d’abord discuter avec les personnes et notamment avec les animateurs et animatrices de quartiers pour voir comment s’insérer dans leurs actions. »
C’est une relation qui met du temps à se construire : Romain fait tout ce que nous on ne peut pas faire par manque de temps et échange avec les habitant·es et professionnel·es. Il est force de proposition. Et maintenant ce sont les animateurs et animatrices qui viennent à lui pour monter des projets ! Il a réussi à se faire accepter et à être identifié. En conséquence on a vu une augmentation de la présence des publics issus de ces quartiers dans le musée. Et puis, ce sont aussi les professionnel·les de ces quartiers qui sont valorisés : ils ont la sensation d’être écoutés alors qu’avant ils se sentaient à l’écart des musées.
ML : Que vous a apporté l’accompagnement par Ombelliscience et le collectif de professionnel·les qui se forment à vos côtés dans le programme « Science pour toutes et tous » ?
CS : J’ai apprécié qu’au sein du groupe de professionnelles en formation, on vienne d’horizons différents. Il n’y a pas que des scientifiques et on travaille sur des territoires différents (urbains comme ruraux) et auprès de publics divers.
Au début je n’étais pas emballée par cette formation. Et finalement ça m’a vraiment permis de me déculpabiliser et ça m’a remotivée. Parce que ça faisait 10 ans que j’essayais de travailler dans les quartiers sans y arriver et je n’avais plus envie. Et donc là, d’avoir eu la définition de ce que c’est l’inclusion et puis de voir qu’on peut mettre en place des méthodes et, même si ça ne marche pas à tous les coups, de voir qu’on peut atteindre les publics, c’était super !
Après, c’est aussi tous les intervenants que vous avez amenés… On vous a dit qu’on voulait discuter avec des habitant·es de quartiers populaires et vous avez invité la coordination Pas Sans Nous. Ça a été la révélation ! Elles nous ont fait comprendre qu’il fallait créer des passerelles et non imposer des choses : d’abord écouter les gens, recueillir leurs besoins, ensuite proposer des activités.
ML : Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment…à votre niveau, au sein de votre structure, et au niveau de l’accompagnement proposé par Ombelliscience ?
CS : Franchement, je n’ai pas de réelle critique. SPTT ça a modifié mon approche des publics. Dans l’ensemble j’ai eu beaucoup de choses en moi qui se sont éveillées. J’aurais aimé qu’on se rencontre plus mais en même temps je n’avais pas beaucoup de temps. J’ai d’ailleurs été frustrée d’être moins présente cette année à cause de ma charge de travail.
A présent, j’espère que le poste de médiateur social sera pérennisé pour continuer tout ce travail.
Publié le 12 novembre 2025
