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Qu’est-ce que la CSTI et qui sont les acteurs en Hauts-de-France ? Portrait #2 Estelle Léonard, ESCOM

Terme fréquemment utilisé dans le jargon professionnel des sciences et techniques, la Culture Scientifique, Technique et Industrielle (CSTI), ne parle pas toujours au grand public. Que signifie-t-il ? Quels sont les acteurs et structures participant au développement de cette culture scientifique ?

Ombelliscience est partie à la rencontre de ces personnes, qui contribuent, chacune à leur manière, au partage des savoirs dans les domaines scientifiques et techniques en Hauts-de-France.

Second portrait, Estelle Léonard - qui travaille au sein de l’École Supérieure de Chimie Organique et Minérale (ESCOM) située à Compiègne - nous parle de son métier, de la structure pour laquelle elle travaille et nous donne son regard sur la culture scientifique en général, et plus spécifiquement sur Echosciences.


Ombelliscience : Pouvez-vous vous présenter ? Estelle Léonard : Je suis enseignant-chercheur en chimie organique, qui est la chimie des molécules constituées principalement de carbone. A l’ESCOM Chimie, une école d’ingénieurs qui recrute post bac, j’interviens principalement en 3ème année et nous travaillons sur toutes les réactions qui permettent de transformer chimiquement ces molécules. À TIMR (laboratoire mixte entre l’ESCOM Chimie et l’UTC), je suis responsable de l’équipe Chimie et nos recherches sont axées sur les transformations pour la valorisation des ressources naturelles par des techniques innovantes telles que les micro-ondes, l’ultrason… des techniques que le public connaît bien mais que nous adaptons.

« Mes missions intègrent deux volets : d’une part, l’enseignement et d'autre part la recherche. »

Omb : Pouvez-vous nous dire ce que signifie « Chimie organique » ? EL : La chimie organique c’est la chimie du carbone. C'est très large, ça va partir de la chimie qui est réalisée en pétrochimie donc à partir des dérivés du pétrole mais aussi la chimie qui est réalisée à partir des dérivés naturels. Par exemple on prend de l'huile végétale et on la transforme par des réactions pour donner des produits à haute valeur ajoutée tels que des produits cosmétiques, etc. C'est de la transformation de produits carbonés (1).

« L’ESCOM est une école de chimie généraliste, […] on y apprend la chimie au sens large. »

Omb : Pouvez-vous nous parler de l'ESCOM ? EL : L'ESCOM existe depuis 60 ans. L’école était basée à l’origine à Paris avant de déménager à Cergy puis aujourd’hui en Hauts-de-France, pour un rapprochement d'un point de vue recherche, entre le génie des procédés de l'Université de Technologie de Compiègne (UTC) et la chimie de l'ESCOM. Ça a été le moteur de cette arrivée à Compiègne. Au niveau recherche, le lien entre l'ESCOM et l'UTC est très régulier. Nous sommes 2 entités juridiques différentes mais travaillons en étroite collaboration au sein d’un même laboratoire. À l’ESCOM, nous sommes environ 36 enseignants et enseignants-chercheurs tout domaine confondu et 100 à 130 vacataires (experts extérieurs sur des domaines particuliers). L'ESCOM, c'est entre 500 et 600 étudiants puisqu’il s’agit d’une école où l’on compte une centaine d'étudiants par promotion, en plus des étudiants qui souhaitent faire une année optionnelle en entreprise pendant un an entre la 4ème et la 5ème année. On y apprend la chimie au sens large. En cycle préparatoire, comme on sait que les étudiants arrivent de lycée où les sciences sont générales, on approfondit plusieurs domaines des sciences dites « générales » : chimie, mathématiques, physique… Va être abordé également tout ce qui est lié au tertiaire : connaissance de soi, projet professionnel, etc. Cela permet aux étudiants d’obtenir un socle large et d’avoir le choix car à la fin de ce cycle préparatoire, si l'étudiant souhaite poursuivre à l’ESCOM, s’il a de bons résultats, il peut continuer. Il n'y a pas de concours entre la prépa et le cycle ingénieur. En cycle ingénieur, on va vraiment faire de la chimie sous toutes ses formes : organique, minérale… On va aller vers la formulation, vers le génie des procédés, la chimie analytique (2) également. À partir de la 3ème année, la chimie est approfondie, en 4ème année, les élèves se spécialisent en choisissant des options, et en 5ème année, les étudiants ont le choix de rester à l'ESCOM ou d’aller en université. Finalement, à l’ESCOM, les élèves apprennent plein de disciplines. Comme nous sommes une école de chimie généraliste, nous enseignons toutes les chimies. Cela va : -de la formulation qui est l'art des mélanges et qui permet de faire les crèmes, les peintures, etc. ; -jusqu'au génie des procédés, c'est-à-dire comment à partir d'une toute petite réaction que nous avons réalisée en laboratoire, on en fait une industrialisation par exemple ; -en passant par la chimie minérale qui est la chimie de tout ce qui n'est pas carboné. Ça va être par exemple les pigments minéraux, les catalyseurs (3)

Omb : À la suite de leur formation à l’ESCOM, vers quels métiers vos élèves se destinent ? EL : C’est varié. Certains étudiants vont travailler dans des entreprises de conseil et de brevet pour le tertiaire. D’autres partent en industrie de formulation. Moins d’élèves exercent dans le domaine de la chimie organique car il y a un peu moins de débouchés mais certains travaillent quand même dans le domaine pharmaceutique. Pour les étudiants qui voudraient s'engager dans cette voie-là, il y a généralement un travail de thèse à faire donc ils ne sont pas forcément embauchés tout de suite après leur diplôme d'ingénieurs. Des étudiants poursuivent aussi leurs études dans le management et le marketing pour valoriser ce qu’ils ont appris à l’ESCOM en 5ème année et pour avoir une autre compétence. Ils travaillent parfois aussi en laboratoire de recherche, par exemple pour optimiser du matériel analytique.

« Certains étudiants vont travailler dans des entreprises de conseil et de brevet pour le tertiaire, d’autres partent en industrie de formulation, dans le domaine de la chimie organique, du pharmaceutique, du management, du marketing ou encore en laboratoire de recherche. »

Omb : Avant d'être enseignant-chercheur spécialisée en chimie organique à l'ESCOM, quel fut votre parcours ? EL : J'ai étudié à l’université de Lorraine et soutenu ma thèse qui portait sur « La chimie organométallique polaire ». Mes recherches étaient déjà axées sur la chimie organique, organométallique même. C'est un mélange entre le minéral et le carboné. Ensuite, je suis partie un an à Birmingham en Angleterre en post-doctorat (4) et puis un an au Mans où j'ai travaillé au laboratoire CNRS toujours dans la même technique. Ensuite, je suis arrivée ici et cela fait 9 ans. Mes missions intègrent deux volets : d’une part, l’enseignement et d'autre part la recherche.

Omb : Actuellement, avez-vous des projets liés à vos missions de recherche ? EL : Oui, l'un de nos projets est de faire de nouveaux tensioactifs. Un tensioactif est par exemple contenu dans un savon. C'est quelque chose qui va à la fois être soluble dans l'eau et dans l'huile. Nous essayons de faire des tensioactifs intelligents et notamment des tensioactifs, nous l’espérons, qui permettront de combattre les maladies nosocomiales (5). Il s’agit du projet important sur lequel nous travaillons en ce moment, en collaboration avec de nombreuses personnes (doctorant et équipes d’autres universités). À l’ESCOM, nous faisons la synthèse mais derrière, des équipes de l'UTC travaillent en physicochimie, pour savoir comment le savon fonctionne, en biologie, pour savoir s’il fait son travail de biocide (6). Des chercheurs de l'Université de Liège (Gembloux) en Belgique travaillent sur ce qu'on appelle la modélisation, c'est-à-dire qu'ils vont utiliser l'informatique pour essayer de comprendre comment et pourquoi ça marche.

« Notre métier d’enseignant-chercheur finalement aujourd'hui, c'est un métier de partage et d'échange d'informations entre scientifiques, on ne peut pas rester dans son coin. »

Omb : Est-ce un travail en étapes ou réalisez-vous ces recherches en même temps ? EL : Nous travaillons en même temps sur la synthèse et la modélisation. Il faut relier les deux pour voir si on a le bon modèle et si on peut s'en servir pour aller plus loin en informatique. Cela permet de voir si c'est vers ce type de structure chimique qu'il faut partir et qu’il faut mettre l’autre de côté, parce que, en modèle et en réalité, nous nous sommes rendus compte que cela ne fonctionnait pas. Notre métier finalement aujourd'hui, c'est un métier de partage et d'échange d'informations entre scientifiques, on ne peut pas rester dans son coin.

Omb : Avant cet important travail de recherche avec ce doctorant, avez-vous eu d’autres projets de recherche ? EL : Bien sûr. Les projets changent et nous en avons d'autres au sein de l'équipe. Chacun a ses propres projets, ses propres résultats et souvent on arrive à regrouper des projets, on se rend compte que parfois les résultats se recoupent. C'est comme cela que l’on monte des projets plus importants.

Omb : L'ESCOM joue un rôle dans le domaine de la culture scientifique. En tant qu’enseignant-chercheur, vous pratiquez la culture scientifique. Vous êtes-vous formée ? EL : Je me suis formée sur le sujet il y a trois ans en passant une certification de compétences (formation à distance) au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) dédiée à la culture scientifique et technique et au montage d'une opération de culture scientifique et technique. C'était très large puisque nous étions des étudiants venant d'horizons très différents. C'était aussi bien sur la publicité que sur les supports de communication scientifique et technique. Pour la publicité, par exemple, quelque chose qui m’a marqué, c'est lorsque l’on a décortiqué des publicités sur des matelas dans laquelle on voyait une dame qui s'endormait en regardant des scientifiques parler des nanotechologies présentes dans son matelas, on l’a analysée pour savoir comment les publicitaires en étaient arrivés-là, à partir de quel mots-clés, etc… J'ai valorisé finalement l'expérience que j'ai pu avoir à l’ESCOM pour mon projet de fin d'études sur les supports de communication aussi bien le support vidéo que les supports écrits et internet.

Omb : Vous avez étudié de quelle manière on rend accessibles les savoirs scientifiques finalement ? EL : Exactement.

Omb : Tentez-vous de développer la culture scientifique de vos étudiants dans vos cours ? EL : Oui, j'essaie. Par exemple, en 5ème année, j'organise tous les ans un séminaire Recherche à destination de nos étudiants. Ça consiste en quoi ? J’invite des chercheurs à présenter en 45 minutes leurs résultats qui ne sont pas soumis à confidentialité. Et chaque année, j'essaie d'inventer une méthode d'examen différente. La 1ère année, j'ai proposé aux étudiants d'écrire une page journalistique. L'année dernière, ils ont fait des posters que l’on a affichés sur nos stands, dans les salons de l’étudiant par exemple, pour montrer comment on peut rendre accessible la science même à haut niveau. Cette année, je leur ai proposé de faire 4 minutes de vidéo par groupe à destination du grand public. Cette sorte de communication scientifique englobe plein de compétences puisque les étudiants doivent déjà comprendre le séminaire (aspect scientifique demandé), puis le retranscrire pour des personnes qui ne sont pas forcément scientifiques, tout en prenant contact avec des associations qui réalisent des vidéos. Nous avons une association qui s'appelle CinEscom qui est bien équipée en matériel vidéo. L'étudiant a dû réfléchir au projet dans sa globalité. En parallèle, il y a aussi un projet appelé « Sur les pas d’Ulysse » que l’on a réalisé l’an passé avec l'Espace Jean Legendre. C'était très bien car le projet a mobilisé aussi bien des lycées, que l'UTC, que l'ESCOM pour faire cette installation et nos étudiants ont dû plancher sur les aspects scientifique et artistique. Ils ont dû en même temps prendre contact avec les lycées et l’UTC pour voir comment lier les projets ensemble. Ça a été vraiment une superbe expérience. La Fête de la Science participe aussi au développement de la CSTI. Cette année, on a fait le plastique à base de pomme de terre pour montrer que même à la maison on peut faire de la science. C’est une technologie qui est déjà en place. C’était pour montrer qu'à partir de pomme de terre, on peut faire des plastiques moins polluants et qui se dégradent beaucoup plus vite qu'un plastique issu de la pétrochimie. Aujourd'hui c’est indissociable, quand on réalise un matériau, il faut penser à son devenir.

« La Fête de la Science participe aussi au développement de la CSTI. »

Omb : Que pensez-vous d’Echosciences ? EL : Echosciences est pour moi un agenda science et technique, un petit agenda culturel. Il permet de fédérer des communautés sur des thèmes précis. Voir toutes les actualités scientifiques et techniques dans l’ensemble des Hauts-de-France, ça n'existait pas. C'est dynamique. L'idée de mettre un peu au même niveau les structures de taille différente, les projets de recherche… Les laboratoires n'ayant pas tous des sites internet ou du temps pour développer des outils de communication. C’est un bon appui pour communiquer.

Propos recueillis par A.F. et retranscrits par C.B.


(1) Un produit carboné est une structure constituée d’atomes de carbone. Pour rappel, le carbone est un élément chimique qui fait partie de la chimie organique (tout comme l’oxygène ou l’azote) et que l’on trouve dans la plupart des éléments du vivant.

(2) La chimie analytique est la partie de la chimie qui concerne l'analyse des produits, c'est-à-dire l'identification et la caractérisation de substances chimiques.

(3) Un catalyseur est une substance qui permet d’augmenter la vitesse d’une réaction chimique, c’est un agent accélérateur. On connait sans le savoir le pot catalytique des voitures… À l’intérieur du pot catalytique, se passe une réaction pour que ce soit moins nocif. Pour que cette réaction se passe bien et soit rapide, il faut un catalyseur.

(4)a Doctorat : le doctorat correspond au diplôme national universitaire le plus élevé. Délivré par les établissements d’enseignement supérieur, le doctorat correspond la plupart du temps à un Bac+8 à la suite d’une soutenance de thèse. Le doctorat permet de devenir maître de conférences ou chercheur. (4)b Post-doctorat : le post-doctorat correspond à la période pendant laquelle un chercheur titulaire d’un doctorat est engagé dans un laboratoire de recherche pendant une durée déterminée (souvent de 1 à 3 ans). C’est entre la thèse (doctorat) et le poste de chercheur ou d’enseignant-chercheur.

(5) Une maladie nosocomiale est une infection contractée dans un établissement de santé (hôpital, clinique…).

(6) Un produit biocide est destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensif les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre, par une action chimique ou biologique.

Publié le 26 avril 2018

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